C’est
un fait bien établi que l’existence des atomes,
des molécules et
des liaisons chimiques ne sont pas compréhensibles en dehors des
lois de la mécanique
quantique.
En ce sens, la physique et la chimie d’un bloc de métal ou
d’une cellule sont quantiques. Mais on sait bien que le
comportement de ces objets ne manifeste pas directement la nature
quantique de la matière, ils font partie du monde de la physique
classique. Cependant, certains phénomènes comme
lasupraconductivité ou
la superfluidité débordent du domaine quantique d’ordinaire
réservé à la microphysique pour entrer dans le monde à notre
échelle.
Erwin Schrödinger n'a pas été qu'un des pères fondateurs de la physique quantique. Ses réflexions sur les contraintes que la physique impose aux cellules vivantes et à l'hérédité ont influencé les découvreurs de la structure de l'ADN. Il ne serait sans doute pas surpris par les travaux laissant soupçonner l'existence d'une véritable biologie quantique. © Fondation Nobel
Lorsque
la nécessité de la physique
quantique s’est
révélée aux physiciens explorant la matière et la lumière,
ce fut essentiellement avec deux phénomènes qui semblaient au
départ être de simplesanomalies bien
localisées dans l’univers de la physique classique : le
rayonnement du corps
noir et
l’effet photoélectrique.
Nous savons aujourd’hui qu’ils étaient la pointe émergée du
monde quantique et que, fondamentalement, le réel est fort différent
de la vision du monde bâtie par les fondateurs de la science
classique comme Galilée, Descartes et Newton.
Erwin Schrödinger n'a pas été qu'un des pères fondateurs de la physique quantique. Ses réflexions sur les contraintes que la physique impose aux cellules vivantes et à l'hérédité ont influencé les découvreurs de la structure de l'ADN. Il ne serait sans doute pas surpris par les travaux laissant soupçonner l'existence d'une véritable biologie quantique. © Fondation Nobel
La biologie quantique pour expliquer la photosynthèse
De
nos jours, les biologistes qui réfléchissent sur le fonctionnement
des cellules, de l’ADN ou
desneurones considèrent
que ces objets sont majoritairement décrits par les lois de la
physique classique. Il n’est pas nécessaire d’utiliser
l’équation de
Schrödinger ou les amplitudes de probabilités qu’elle gouverne
pour comprendre l’origine de la vie, les mutations, l’évolution
ou l’apparition de la conscience dans un cerveau.
Pourtant, ces dernières années, quelques résultats expérimentaux
en biologie, notamment sur la photosynthèse,
semblaient défier les lois de la physique classique.
Il
était et il est encore bien trop tôt pour savoir si
la photosynthèse finira
par être, pour une éventuelle biologie
quantique,
ce que le rayonnement du corps
noir a
été pour la physique quantique. Toutefois, Alexandra Olaya-Castro
et Edward O’Reilly, des chercheurs du célèbreUniversity
College de
Londres, viennent de publier dans Nature
Communications un
article, également disponible en accès libre sur arxiv,
dans lequel ils affirment que des macromoléculesbiologiques
utilisent bel et bien des processus quantiques pour effectuer de la
photosynthèse. Jusqu’à présent, le doute planait sur
l’inadéquation des processus classiques pour décrire le
comportement de chromophores attachés
à des protéines qu’utilisent
les cellules végétales pour capter et transporter l’énergie
lumineuse.
Selon
les deux physiciens, certains des états de vibrations moléculaires
des chromophores facilitent le transfert d’énergie lors du
processus de photosynthèse et
contribuent à son efficacité. Ainsi, lorsque deux chromophores
vibrent, il arrive que certaines énergies associées à ces
vibrations collectives des deux molécules soient telles qu’elles
correspondent à des transitions entre deux niveaux d’énergie
électronique des molécules. Un phénomène de résonance se
produit et un transfert d’énergie en découle entre les deux
chromophores.
Distributions de probabilités quantiques négatives
Or,
si le processus était purement classique, les mouvements et
les positions des atomes dans
les chromophores seraient
toujours décrits par des distributions de probabilités positives.
Alexandra Olaya-Castro et Edward O’Reilly ont découvert qu’il
fallait employer des distributions négatives. C’est une signature
indiscutable de l’occurrence de processus quantiques. Mieux, il
s’agit dans le cas présent de la manifestation d’une
superposition d’états quantiques à température ambiante
assistant un transfert cohérent d’énergie.
On
retrouve ces vibrations collectives de macromolécules dans d’autres
processus biologiques comme le transfert d’électrons dans
les centres de réaction des systèmes photosynthétiques, le
changement de structure d'un chromophore lors de
l'absorption de photons (comme
dans les phénomènes associés à la vision). Selon les chercheurs,
il est donc plausible que des phénomènes
quantiques assistant
des processus biologiques que l’on croyait classiques soient assez
répandus. Si tel est le cas, on peut s’attendre à découvrir
d’autres manifestations hautement non triviales de la mécanique
quantique en biologie.
Cela
n’aurait certainement pas surpris Werner
Heisenberg,
et encore moins Niels
Bohr qui,
il y a déjà plus de 60 ans, prédisaient que l’on pourrait bien
rencontrer des limites de la physique classique avec les systèmes
vivants.